Nanterre : des bidonvilles des années 1950 à l’utopie, puis aux émeutes
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Ce matin du 2 novembre 1964, les trains de banlieue en provenance de Paris Saint-Lazare marquent comme d’habitude l’arrêt à Nanterre-La Folie. Mais, en ce lundi de rentrée universitaire, de nouvelles silhouettes s’égaillent dans ce paysage peu accueillant : des jeunes d’une vingtaine d’années – garçons en veste, chemise, souvent cravatés et, moins nombreuses, filles en robe ou jupe descendant à la hauteur des genoux –, déferlent par vagues à la sortie de la gare. Les voilà qui s’engagent en hésitant sur la direction à prendre au milieu du cloaque d’une tranchée boueuse d’où émergeront dans plusieurs mois les voies du RER A et la nouvelle gare Nanterre-Université.
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Ils sont près de mille étudiants venus pour la majorité d’entre eux de Paris, qui se sont inscrits pendant l’été à cette nouvelle faculté de lettres et de sciences sociales : l’université Paris-Nanterre d’où, le 22 mars 1968, démarrera la révolte étudiante, prélude au grand mouvement de Mai 68. Mais, en ce début des années 1960, le pays n’en est pas là. Il faut soulager la Sorbonne, qui menace de déborder, et les autorités ont choisi cet ancien site militaire de l’armée de l’air pour y ériger cinq bâtiments reliés par un immense couloir.
A peine trois ans auparavant, à quelques centaines de mètres de là, un bidonville peuplé de travailleurs algériens couvrait une partie de cet espace situé à une dizaine de kilomètres à l’ouest de la capitale. Ils étaient là depuis la fin de la guerre, œuvrant à la reconstruction du pays ou sur les chaînes des usines automobiles de Simca et de Citroën. Parqués à la va-comme-je-te-pousse dans cette zone au milieu de nulle part, ils avaient improvisé des cabanes de planches, de tôles ondulées et d’autres matériaux de récupération.
Les populations relogées plus loin
En ce début des années 1960 et de la Ve République, Nanterre est un gigantesque chantier parsemé de grues que la fureur des engins mécaniques dispute au vacarme des marteaux-piqueurs. En 1958, l’Etat a planifié la création d’un quartier d’affaires aux portes de Paris. L’Etablissement public pour l’aménagement de la région de la Défense sort des cartons, et des norias de pelleteuses commencent un manège qui va durer plus de vingt ans.
Petit à petit, les bidonvilles, stigmates de misère éparpillés çà et là sur ce bout de territoire entre Seine et carrières, hérités de l’histoire des migrations intérieures et extérieures – on en comptabilise une dizaine dans la localité – sont détruits. Au plus fort de la guerre d’Algérie (1954-1962), ils ont été des bastions de la branche métropolitaine du Front de libération nationale et en ont payé le prix au soir de la manifestation du 17 octobre 1961. Un vieux quartier constitué d’un ramassis d’habitations hétéroclites, refuge des chiffonniers, est rasé. Toutes ces populations d’origines diverses qui n’ont que leur dénuement en partage sont relogées plus loin vers l’ouest, dans des cités de transit annoncées comme provisoires.
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