Une presse d’opinion ne peut se libérer de tout principe

Un hebdomadaire réduit au silence depuis six semaines du fait d’une grève historique toujours en cours, un dialogue totalement rompu entre l’actionnaire actuel et la rédaction, c’est peu de dire que l’arrivée annoncée de Geoffroy Lejeune à la direction du Journal du dimanche (JDD), le 1^er août, s’effectue dans un climat particulièrement délétère.

En confirmant le 27 juillet sa décision de placer l’ancien directeur de Valeurs actuelles à la tête du journal dominical, le Groupe Lagardère, qui est en passe de le céder au très droitier milliardaire Vincent Bolloré, lui a fixé comme mission « l’excellence journalistique : les faits, l’investigation, le devoir d’informer ». On ne sait ce que vaut un engagement qui devrait aller de soi venant d’un patron sur le départ.

Arnaud Lagardère a présenté initialement cette nomination à la tête d’un titre qui perd de l’argent comme « un choix économique ». L’hebdomadaire dirigé précédemment par Geoffroy Lejeune a pourtant payé au prix fort ses orientations idéologiques radicales. L’actionnaire a jugé également « méprisant » un « fantasme de l’extrême droite » accolé selon lui de manière erronée au journaliste. Les prises de position assumées et constantes et les amitiés revendiquées à la droite de la droite de ce dernier expliquent précisément la bataille livrée crânement par les rédacteurs du JDD, unis mais placés le dos au mur.

Nul ne peut contester que la presse d’opinion concourt puissamment à la bonne santé démocratique en nourrissant les débats. Sa tradition est bien établie en France et reste vivace. La création régulière de nouveaux médias qui ne cachent pas leurs convictions dans leur poche en atteste.

Démarche inquiétante

Plonger dans l’incertain une institution comme le JDD, devenu au fil des décennies une agora consensuelle symbolisée par son classement des personnalités préférées des Français, ou par son baromètre de la popularité des responsables politiques, s’inscrit dans une tout autre démarche, autrement inquiétante. Si le passage en force au JDD préfigure les mises au pas accompagnées de purges de la chaîne i-Télé devenue CNews comme d’Europe 1, passées l’une comme l’autre sous le contrôle du groupe bâti par Vincent Bolloré, la pluralité d’opinions dans la presse française aura encore reculé. Qu’en attendre en matière de respect des faits, régulièrement malmenés sur plusieurs chaînes de ce même groupe, ou de journalisme d’investigation, puisqu’il y est manifestement considéré comme une hérésie ?

La presse d’opinion n’est profitable à la démocratie que si elle respecte quelques règles essentielles. Il est très regrettable que le Groupe Lagardère, lorsqu’il négociait avec les journalistes du JDD, ait refusé selon eux le moindre engagement qui devrait aller lui aussi de soi contre « toute publication de propos racistes, sexistes et homophobes et, plus généralement, de tout contenu discriminatif ou haineux ».

Le rappel de la dérive aux Etats-Unis de la chaîne de télévision Fox News devrait servir de garde-fou pour les procureurs de la bien-pensance supposée qui dominerait le champ médiatique. En sacrifiant à la nouvelle religion des faits alternatifs édictée par Donald Trump dès son arrivée à la Maison Blanche, la chaîne conservatrice a contribué à un climat de guerre civile qui a débouché sur l’assaut contre le Capitole, lors de la contestation des résultats de la présidentielle de 2020. Elle a ainsi gravement affaibli la démocratie au lieu de la conforter.