La manière avec laquelle un régime politique traite ses opposants constitue en général un révélateur assez juste de sa nature. Ce principe a été vérifié avec l’effarante peine de dix-neuf ans de prison prononcée le 4 août en Russie contre Alexeï Navalny. Les charges aberrantes retenues, de « réhabilitation du nazisme » et d’« extrémisme », ont également confirmé une fois de plus ce qu’il était advenu d’un système judiciaire dévoyé, réquisitionné pour écarter aussi longtemps que possible celui qui s’est attaché, avant la tentative d’empoisonnement dont il a été la cible en 2020, à dénoncer la corruption massive à l’œuvre dans la verticale du pouvoir de Vladimir Poutine.
Lire aussi :
Article réservé à nos abonnés En Russie, l’opposant Alexeï Navalny une nouvelle fois condamné au terme d’un procès expéditif
Alexeï Navalny, qui croupit dans une colonie pénitentiaire à « régime spécial » où il est soumis constamment aux brimades, n’en a pourtant pas fini avec ses accusateurs. Des charges de « terrorisme » doivent encore lui être signifiées. Elles lui vaudront sans nul doute des années de prison supplémentaires, quelle que soit leur vacuité.
Lire aussi :
Article réservé à nos abonnés Alexeï Navalny, un prisonnier politique en guerre contre la machine de l’Etat russe
La même semaine, le 2 août, la machine à broyer qu’est devenu l’appareil judiciaire russe a confirmé la peine exorbitante prononcée contre le journaliste Ivan Safronov, condamné à vingt-deux ans de prison pour « haute trahison » en 2020. Deux jours plus tôt, la peine la plus élevée prononcée contre un opposant au cours des dernières années, vingt-cinq ans de colonie pénitentiaire, pour « haute trahison », a également été maintenue à l’encontre de l’opposant Vladimir Kara-Mourza. Ce dernier a été affaibli physiquement par d’autres tentatives d’empoisonnement niées sans convaincre par un régime qui charrie avec constance dans son sillage un nombre troublant de morts violentes.
Dérive répressive
Cette parodie de justice ne peut tromper personne. Elle est devenue encore plus la caricature d’elle-même depuis l’invasion de l’Ukraine et l’échec du Kremlin à transformer par la force Kiev en un satellite docile de la Russie. Avec les difficultés rencontrées sur place, la dérive répressive du Kremlin s’est en effet accentuée, et élargie. Sous le coup d’accusations d’« espionnage », le correspondant en Russie du Wall Street Journal, Evan Gershkovich, y est détenu depuis mars. Il est le premier journaliste des Etats-Unis à être soumis à pareil traitement depuis la fin de la guerre froide.
Ces esprits libres qui forcent l’admiration ne sont pourtant pas les seuls à être ainsi frappés. Chaque sentence condamne un peu plus la Russie à être un pays du silence ou de l’absence, puisque le maître de Moscou ne conçoit d’alternative à la prison que l’exil. Comme Alexeï Navalny, en 2021, hospitalisé à l’étranger après une tentative d’empoisonnement, Vladimir Kara-Mourza avait été interpellé dès son retour en Russie, en 2022, après l’invasion de l’Ukraine, sachant qu’il y serait jugé et condamné de manière totalement discrétionnaire.
Lire la chronique :
Article réservé à nos abonnés « Aider les démocrates russes en exil à s’organiser est dans l’intérêt des Européens »
L’un comme l’autre ont compris que l’exil condamne aussi sûrement au mutisme que la peur, en vidant la parole des dissidents de la moindre légitimité. Bien qu’embastillé, Alexeï Navalny continue au contraire son combat, en dénonçant ainsi avec constance l’erreur tragique pour son pays qu’a constituée l’invasion de l’Ukraine. Comme ses pairs, l’opposant prend date, convaincu que l’appareil judiciaire russe accumule contre lui des années de prison qui dépassent de beaucoup l’espérance de vie du régime de Vladimir Poutine.