Après la légalisation, les nouveaux germes du capitalisme
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À Smiths Falls, une petite bourgade de l’est du Canada, la fortune a longtemps dégagé une odeur de chocolat. Celle qui émanait de l’usine du géant de la confiserie Hershey, principal employeur de cette petite ville de l’Ontario, jusqu’à ce que l’entreprise décide en 2008 de délocaliser sa production au Mexique.
Dix ans plus tard, alors que la ville est plongée dans une crise économique, un mystérieux repreneur transforme l’usine abandonnée. Smiths Falls exhale bientôt un autre parfum, celui du cannabis, et devient la capitale d’une industrie dont les habitants apprennent le nom au fur et à mesure de leur réembauche : la weed tech – les nouvelles technologies appliquées à l’herbe.
La nouvelle fierté locale s’appelle Canopy Growth, numéro un mondial de la production de cannabis. En 2019, un an après l’acquisition des installations, l’entreprise atteint un record de valorisation boursière à 13,7 milliards d’euros et son PDG, David Klein, devient alors le mieux payé du Canada. Les cylindres géants autrefois utilisés par Hershey pour mélanger le sucre des barres chocolatées servent désormais à l’irrigation des plants de “marijuana”. L’usine tourne à plein régime : 800 000 joints par jour.
Miser sur Smiths Falls, en cette année 2019, n’a rien d’un hasard. Il y a tout juste quelques mois que le pays a légalisé le cannabis, et les clients potentiels sont nombreux. Selon l’organisme officiel Statistique Canada, 20 % des habitants âgés de plus de 15 ans sont alors des fumeurs réguliers. Le cabinet Deloitte estime à 2,5 milliards de dollars américains le marché national du cannabis légal en 2020, et prévoit sa croissance à 6,7 milliards en 2026.
De quoi donner à Canopy Growth des rêves de grandeur… Sauf que la société, trop ambitieuse, mal préparée, soumise aux stricts quotas des licences médicales et aux rigidités d’un secteur contrôlé par l’État, va exploser en plein vol.
Mastodontes de l’alcool et du tabac
Cotée au “Cannabis Index” de la Bourse de Toronto, son action dévisse, passant de 32,8 dollars en février 2021 à 7,12 dollars en février 2022, et à moins de 39 cents en été 2023. Au quatrième trimestre de 2022, l’entreprise enregistrait 260 millions de dollars de pertes nettes. Elle a licencié 800 employés, dont la majorité du personnel de Smiths Falls. L’usine a de nouveau fermé. La capitale éphémère du cannabis a replongé dans la crise.
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L’affaire de Smiths Falls n’est pas anecdotique. C’est la parabole d’un secteur ultra-spéculatif, où règnent l’anticipation et les paris financiers déraisonnables. Ses pionniers sont à l’affût des légalisations du cannabis thérapeutique et récréatif à travers le monde. Chaque loi ratifiée donne le feu vert à la ruée vers un nouveau marché. Licences d’usage médical, confiseries aromatisées, recharges pour vapoteuses, huiles au CBD… Il faut s’adapter à des réglementations locales souvent négociées âprement.
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